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Dans cette nouvelle exposition, l’artiste YongMei Liu nous offre une autre phase de son travail imprégné de sa double culture.
L’Orient et l’Occident. Le Levant et le Ponant. L’Asie et l’Europe. La Chine et la France. Une rencontre revendiquée et vécue dans une fusion créatrice qui chemine, pas après pas dans un lent processus pour aboutir à cette nouvelle étape. Sans doute début d’autre chose.
Le peintre japonais Sôseki pense que si un artiste ne cherche pas à reproduire un aspect de la nature, il peut se féliciter du succès de son entreprise s’il réussit à évoquer l’atmosphère ambiguë de la vie. YongMei Liu est sans doute arrivée à ce stade en créant un monde de coraux, de méduses, d’anémones imaginaires qui préfigurent l’émergence d’un univers encore inconnu. Elle invente des formes, des végétaux, des créatures fantastiques, un nouveau bestiaire, une nouvelle botanique. À moins que, peut-être et pourquoi pas, cet univers majoritairement blanc ne soit celui d’avant nous, celui dont nous sommes issus. Notre origine. Mais si l’homme vient du fond des océans, les créatures de YongMei Liu sont créées in absentia. En absence. Absence de l’eau. Pas de liquide primordial pour ces créatures d’apparence aquatiques venues d’un monde asséché. Sans eau, pas de vie. Et pourtant, chacune de ses créations est faite de pleins, de vides, de plis, de replis, de ligatures. Dans le bouddhisme zen, le Sûtra désigne les fils qui passent à travers un ouvrage, le suturent et lui donnent sa structure, relient les éléments, réparent les déchirures, les accrocs. Dans les sculptures textiles de YongMei Liu, un mince fil parfois imperceptible, souvent rouge, permet la cohésion de l’œuvre devenue concrétion, sédiment. Le temps a consolidé son œuvre. Le fil est métonymie, il est la vie, la vrille qui fixe le textile à son support comme une plante volubile s’accroche et s’enroule à une autre dans une spirale confondante, et fait de l’œuvre un tout, une unité. La vie coule dans le fil. C’était avant nous.
La deuxième partie des œuvres nous amène en Occident. Inspirées des Vanités, symboles du temps qui passe, de la vie qui se fane, ces œuvres sont le pendant de ce qui précède. Résidus d’organes vivants, de rejets d’estran, de bois flottés, de mues, elles nous renvoient à la mer. Sous globes, elles sont là pour préserver, prolonger, conserver et témoigner de la vie antérieure et de notre fragilité. De l’impermanence des choses et des êtres. Sentiment renforcé par la rouille qui corrode le temps, ronge et entame notre certitude d’être indestructibles. Comme les Parques coupent le fil de la vie, la rouille vient couper les fils des œuvres d’avant, s’attaque à notre invulnérabilité et transforme le matériau initial en une autre matière non identifiable. La soie se pétrifie. La rouille dénoue, défait, cisaille, détruit, déguise, altère. Nous leurre, nous alerte, nous prévient. Ces œuvres sont ce qui sera.
Pour conclure avec Sôseki, YongMei Liu a réussi. Elle s’intéresse « à ce qui envoûte l’âme » et nous pousse à la découverte d’un autre monde.
Marie-Aimée Ide
Juillet 2023